Chacun-e son Delap

Le Delap de Raquel Garrido

19 juin 2025 | 5 minutes de lecture

Un batisseur de cathédrales. Le jour de la mort de François j’ai rassemblé mes forces pour écrire un texte d’annonce. Publié sur mon blog, il est parti en fumée lors de l’incendie du datacenter de l’hébergeur OVH. Sur un blog de Mediapart j’en ai retrouvé cet extrait :

« Notre camarade François Delapierre est décédé, ce matin du 20 juin 2015, après avoir combattu une tumeur au cerveau fulgurante et agressive.

Le Parti de Gauche perd une partie de lui-même. François Delapierre fut le premier à prendre la parole le 29 novembre 2008 lors du meeting fondateur du Parti de Gauche. Doté d’une capacité d’anticipation hors du commun, fin observateur des dynamiques politiques à l’œuvre dans le monde entier, François avait imaginé puis organisé le lancement du Parti de Gauche. Jeune dirigeant de parti, il avait toujours eu le goût de valoriser le talent des autres et en particulier celui des jeunes. Il a formé une grande part des responsables politiques du PG, en les accompagnant de sa puissance intellectuelle et bienveillance. (…)

Le Parti de Gauche est triste. Triste mais si fier d’avoir été dirigé par un homme si superbe. François vivra dans chacune de nos actions, dans chacune de nos indignations, dans chacun des coups que nous porterons à ceux qui gouvernent ce monde injuste qui empêche le grand nombre d’être heureux. A 44 ans, François part trop tôt, trop jeune, coupé dans son élan créateur. Il ne verra pas l’issue des réalisations qu’il a déclenchées. Mais n’est-ce pas le sort des bâtisseurs de cathédrales ? Les pégistes font le serment de continuer son œuvre. »

J’ai aussi retrouvé cette interview réalisée le lendemain du décès, où on ne décèle pas l’ombre d’une tristesse. Étonnant. J’imagine que la peine était non seulement atténuée par le soulagement après plusieurs mois de le voir, impuissante, perdre ses capacités motrices. Mais surtout je crois que j’étais encore exaltée par ce bout d’histoire que nous avions écrit ensemble. J’étais si fière d’avoir été delapierriste ! Comme nombre de camarades, j’étais heureuse d’être menée par lui. Je me sentais utile et valorisée. De sa puissance intellectuelle, il en était lui-même convaincu, bien sûr. Cela a pu irriter parfois ses interlocuteurs qui s’apercevaient, parfois après coup, d’avoir été un pion dans les coups à quelques bandes de Delap.

Sa force n’était pas qu’un don d’enfant surdoué. Il travaillait énormément. Il était capable de tout apprendre s’il le décidait. Ainsi, l’adorateur de musique qu’il était avait étudié finement les notices techniques des chaînes stéréo disponibles sur le marché. Il en avait commandé les composantes en ligne directement auprès de fabricants chinois et avait installé tout cela lui-même chez lui en prenant en compte les spécificités physiques du salon à sonoriser. Il partageait ce goût de la musique avec Charlotte qui l’a d’ailleurs accompagné au concert jusqu’au bout, notamment à la Philharmonie de Paris qu’il a pu découvrir en 2015.

Cette absorption totale d’une discipline ou d’une aptitude, il l’a appliqué à tant de choses. Pour écrire un mémoire de sociologie il est devenu livreur de pizza. Pour intervenir adroitement dans l’émission de débat « le Conseil des Grandes Gueules » sur RMC, il a sollicité des conseils et a adapté parfaitement son discours, son registre de langage, et son humour : grinçant. Et quand il a décidé d’apprendre à parler et écrire le chinois, cela ne nous a pas vraiment surpris. Pour son anniversaire on lui a offert plumes et encres. Nous savions qu’il ferait le reste à la perfection. Certains aspects de sa personnalité faisaient penser au spectre autiste, mais il était lucide sur lui-même et était capable d’observer et imiter les comportements sociaux et les règles de sociabilité. Parfois au contraire il s’en fichait de faire comme les autres, par exemple sur une piste de danse où il s’emballait avec des mouvements erratiques et saccadés, qui j’avoue nous faisaient bien rire.

Sur le plan politique il était un bon détecteur de talent, et cultivait l’autonomie des personnes à qui il faisait confiance. Parfois, néanmoins, il répercutait, sans état d’âme, des instructions injustes. Il pouvait être dur. S’il avait eu à sa disposition les outils technologiques disponibles aujourd’hui, il les aurait parfaitement dominés mais pourquoi faire ?

Nous ne saurons jamais ce que nous serions collectivement advenus s’il avait vécu. Irremplaçable, aurait-il lui-même organisé son ascension au poste de numéro 1 ? En tout cas je faisais partie de celles et ceux qui étaient d’accord pour cela. Très subtilement, il faisait avancer cette idée. Mais comme je l’avais dit il y a 10 ans, je crois que François avait la perspective des bâtisseurs de cathédrales. C’est-à-dire une ambition sans limites inscrite dans les limites de son enveloppe corporelle. Pourtant jeune, il consentait à ce que son œuvre soit terminée par d’autres. Encore une marque de son intelligence et de sa noblesse. Au demeurant, dans la longue marche pour l’émancipation des peuples, le travail n’est jamais terminé.

François tu as été mon ami, mon frère, mon camarade. Et tu seras dans mon cœur et dans mes pensées toute ma vie durant. Je pense très souvent à Valentine, Félicie et Charlotte, même si par pudeur je ne le montre pas beaucoup. Vous êtes toutes dans mon cœur. Merci Robi pour ce blog commémoratif et merci à tous les camarades qui témoignent. Un lien, pas si ténu, nous unit.