Le Delap d'Olivier Thomas
C’est à Sciences-Po que j’ai croisé Delap pour la première fois. J’etais arrivé dans cette école un peu par hasard et beaucoup plus vieux que les autres élèves, par une troisième voie. Je venais de l’Essonne et du syndicalisme et je militais déjà à la Gauche Socialste, ou à la Nouvelle École Socialiste. Bref… assez naturellement j’ai rejoint l’UNEF Sciences-Po, ce qui me changeait un peu de FO PTT.
J’y ai découvert de nombreux jeunes militants, qui deviendront des cadres politiques de gauche et parfois de droite.
Parmi eux il y avait Delap, un grand jeune homme au corps souple, qui ressemblait au Duduche de Cabu. Nous étions beaucoup occupés à contrer les « rockys à l’UNEF, par tous les moyens possibles. Nous recrutions des étudiants, nous faisions des alliances avec d’autres courants pour que les rocardiens se trouvent minoritaires notamment sur la liste du conseil de direction. Elevé à la Fédération de l’Essonne, tout cela m’était familier, mais certains étudiants avaient un talent incroyable pour ces manœuvres d’appareil. Delap était un talent brut, déjà a l’époque. Ses argumentaires étaient clairs et fondés et faisaient souvent mouche.
Et puis dans ce syndicat étudiant qu’on nous avait demandé de prendre, nous n’étions pas très nombreux à être encartés à la GS. On se retrouvait à la péniche ou au Riquet, bien moins cher que le Basile. Et puis j’ai passé les concours, je suis retourné en Essonne et je croisais Delap dans les rassemblements du courant, dans les manifs, dans les universités d’été. Il gardait toujours sa tête d’étudiant avec ce sourire si particulier. Un sourire des yeux.
L’Essonne était « la Mecque » du socialisme, nous étions une école et un laboratoire. Delap nous y a rejoint. Il écrivait beaucoup. Nous avions chacun notre tâche et cela fonctionnait plutôt bien. Nous partagions quelques passions, notamment celle du bon vin et du Bourgogne en particulier. Là encore son avis était clair et argumenté. Pour bien aimer le vin, il faut une grosse mémoire et des acquis, le plaisir est plus grand. Delap était un esthète. Sa lame était toujours aiguisée et juste.
Dans les discussions de direction, son avis tombait juste aussi. On le guettait comme on attend le coup gagnant, le passing-shot ciselé sur la ligne quand un imprudent était monté au filet. Une référence… et toujours ce sourire des yeux de celui qui a compris plus vite où se trouve l’étape suivante.
Il manque à tous ceux et à toutes celles qui l’ont croisé, parce qu’en fait, on en croise pas beaucoup des Delap dans une vie.