Chacun-e son Delap

Le Delap de Guillaume Etievant

20 juin 2025 | 3 minutes de lecture

Je me revois, en 2009, jeune militant du jeune Parti de Gauche, partir de Paris aux aurores pour arriver à Plaisir et aider Delap’ dans sa législative partielle, où il faisait face à l’ex-judoka David Douillet. C’était ma première année de militantisme dans un parti.

On distribuait des tracts, on enchaînait les porte-à-porte, face à des habitants qui, souvent, n’étaient même pas au courant qu’une élection se déroulait. Le nom même de Mélenchon était à l’époque inconnu pour la plupart d’entre eux. Mais Delap’ était infatigable, consacrant un temps infini à cette campagne, et surtout en la politisant au maximum, alors qu’il n’avait aucune chance d’être élu. C’était ça, pour moi, Delap’ : les idées et la réflexion au centre de tout.

J’ai commencé à mieux le connaître à l’été 2010. Une camarade de mon comité, Clémentine, m’appelle un jour en me disant qu’il y avait besoin d’un économiste pour contribuer à la rédaction du programme du PG. L’enjeu était incroyable : on devait, en quelques semaines, recueillir toutes les idées des adhérents, les analyser, les compléter, répondre à chacun, et proposer, à l’université d’été du PG de fin août, un projet de programme. Ce fut le premier programme du Parti de Gauche – que j’ai toujours à la maison-, dont on retrouve encore des traces dans celui de la France Insoumise aujourd’hui. Delap’ pilotait tout cela avec une grande vivacité intellectuelle. J’eus alors avec lui de nombreux échanges, qui se poursuivirent ensuite quand je fus élu à la direction du Parti à ses côtés. Il intellectualisait tout. Je ne partageais pas complètement sa vision très républicaine, et j’essayais de le convaincre que le cœur de la dynamique révolutionnaire n’était pas d’abord le changement institutionnel, mais qu’il découlerait d’une prise de pouvoir dans les entreprises elles-mêmes. Sans partager mon orthodoxie marxiste, nous réfléchissions ensemble. Il m’envoyait les manuscrits de ses livres, qu’il écrivait l’été avant leur parution, pour avoir mon avis ; il me demandait de l’accompagner à certaines émissions de télé. J’ai adoré le côtoyer, sans jamais pour autant être un de ses proches. C’était une complicité intellectuelle.

Et puis, il y eut ce mail du 5 août 2014. J’avais relancé Delap’, car nous devions, avec Bastien Lachaud également, proposer à la direction nationale du PG une nouvelle structuration de la direction, suite à l’échec des élections européennes de cette année-là, et Delap’ ne répondait plus depuis quelques semaines. « Je suis affligé d’une tumeur au cerveau diagnostiquée cet été, plutôt d’un genre bénin, mais qui me handicape déjà trop », y écrivait-il notamment. Je fus surpris. Depuis quelques semaines, il se plaignait de ne plus bien voir et n’avait pas l’air en forme. Ça ne l’avait pas empêché d’imaginer déjà sortir de la forme “parti” pour construire un grand mouvement citoyen – ce qui préfigurait ce que sera plus tard la France Insoumise.

Et puis, le couperet, le 29 août : « L’échantillon récupéré fait apparaître une tumeur agressive, du grade le plus élevé, et non la tumeur de bas grade imaginée à l’imagerie. Les statistiques sont cruelles : la moitié des patients ne vit pas plus de 15 mois, la guérison n’est pas un objectif. » Cette dernière phrase m’a longtemps hanté. Je n’ai plus jamais revu Delap’, n’osant pas m’immiscer dans sa vie personnelle ni aller le voir affaibli à l’hôpital. Je n’étais, après tout, pas son ami, mais plutôt dans la zone grise de la camaraderie. Je l’ai regretté par la suite.

À ma grande surprise, alors qu’au sein du parti ce n’était pas la personne dont j’étais le plus proche, et que certaines de ses manœuvres politiques m’agaçaient franchement, depuis que j’ai arrêté la politique, il y a une dizaine d’années, et que je ne côtoie plus ce milieu qu’indirectement, c’est l’un de ceux que je regrette le plus. Vraiment. Sans doute parce que c’était l’un des plus intelligents, celui qui me faisait le plus réfléchir, celui qui aimait le plus débattre du fond des idées. C’était un dirigeant politique, mais c’était aussi beaucoup plus que ça. Je pense toujours très souvent à lui.