Le Delap de Charlotte Girard
7h48 à la Salpé il y a 10 ans, tu ne reprends plus ta respiration. Saccadée. Épuisée. Retenue. Ta main chaude dans les miennes. Crispées. Au creux de l'oreille, je te demande de ne pas avoir peur. Notre amour est infini. On se retrouvera.
Comme dans cette manif contre le traité européen et son cortège de peines pour les peuples. J’étais au PS depuis deux ans après la défaite de Jospin et je venais déjà de perdre une bataille ; celle du Non lors du référendum interne. Déprimée par le ralliement de mon courant à la décision du parti de défendre le Oui, abandonnée au milieu d’un flot de manifestants dont je partageais la résolution de faire campagne pour le Non, je réfléchissais au moyen d’entraîner mes camarades du 19e à garder le drapeau du Non en main. Mais comment quand on est dans un parti ouiouiste ? Quadrature récurrente de la gauche du PS. Je pensais déjà à quitter ce parti.
Sans crier gare, un gars mal fagoté, un paquet de tracts serrés contre son coeur m’aborde tout sourire : “Tu connais PRS?”. Je pense : “Pffff encore un de ces socialos qui vient me vendre sa soupe”. Je prends quand même le tract : “Pour moi, c’est Non”. J’y crois à peine. Il m’entreprend sur les raisons de maintenir la lutte pour le Non, tout en restant au PS. Je trouve ça contradictoire et vain. Je me méfie. Je le provoque sur une ligne tout à fait gauchiste (vous allez trahir, etc.). Visiblement, il n’est pas scandalisé. Ça l’amuse. Il insiste : “On a besoin de gens.”, “Tu veux être utile au Non ? Tu es au PS ? Rejoins-nous.”
Nous avons rendez-vous plusieurs jours après à la mosquée de Paris. Il va m’expliquer. Un thé à la menthe plus tard, j’ai compris que j’avais affaire à un grand architecte, qui m’apprendrait tout ce que j’avais toujours voulu savoir sur la gauche, la lutte et la révolution.
Encore quelques cafés plus tard, j’ai compris que nous aurions une vie à construire ensemble, tressée de politique, de musique et de gastronomie.
Le goût de toutes ces composantes existentielles, je les avais. Mais François, que les autres camarades appelaient Delap, le porta à un niveau de raffinement que je n’imaginais même pas. La rigueur de la méthode. Le pouvoir de la concentration. La joie de penser. Comprendre que la créativité peut venir de l’application. On crée quand on fait. On progresse quand on agit. On apprend quand on transmet.
Nos enfants sont là pour le dire.